Je t'aime lectrice anonyme
Tu viens rarement, à la limite du jamais, tu te sens un peu seule sur ces pages non commentées. Ennuyée par l'écran trop sage de l'ordinateur, tu te connectes distraitement, à l'abri du regard de tes collègues, tu n'es pas payée à naviguer, mais tu as la chance de pouvoir le faire en même temps que ton travail. Tu as tes blogs favoris et tu as une préférence pour ceux qui ont de longs textes soigneusement écrits. Tu regardes les commentaires, même si tu n'en laisses jamais. Parfois, tu cliques sur le lien d'un commentateur, pour découvrir un nouveau lieu, un nouveau site. La fin de semaine approche et ton thé brûlant refroidit doucement dans ta mug. Tu lis très vite, tu sélectionnes les articles si les titres te plaisent, mais tu abandonnes leur lecture en quelques secondes s'ils te barbent. Ton bureau est gris, mais ton écran a les couleurs d'une hirondelle provençale, du journal d'une blonde ou d'une salle de bains jazzie. Tu lis tout comme tu lis ces magazines sans importance, tu évites de juger, tu souris, tu envies, tu frémis, tu zappes dès que tu te lasses. Tu restes un peu sur les articles qui t'apprennent quelque chose, ou à défaut qui t'amènent à t'intéresser à un sujet. Tu évites les blogs aux couleurs criardes pour ne pas te faire alpaguer par ton petit chef, mais tu rougis légèrement lorsqu'il entre dans le bureau à l'improviste.
Et donc, tu ne laisses jamais de commentaires car les touches de ton clavier sont moins aisées que les clics de ta souris. Tu ne juges pas ton avis pertinent ou tu n'as pas envie de critiquer, en bien ou en mal. Tu n'as pas vu de caméra de surveillance, et d'ailleurs il n'y en a pas. On ne sait pas de quelle page tu viens, quel ordinateur tu as, avec quel système d'exploitation et quel explorateur. Tu suscites la crainte lorsque tu ne viens pas, et la surprise heureuse lorsque tu laisses un comm', car tu signes enfin ton passage. Mais on ne te l'exige pas. Tu serais capable de prendre peur d'être pistée, et tu appréhenderais de revenir. Mais que tu laisses un comm' de trois mots ou de dix lignes, tu es la bienvenue, lectrice anonyme. Même si tu ne laisses pas de comm', mais que l'article t'a plu. Il y aura quelques octets de plus dans ta mémoire, volatile ou non.
Tu m'intéresses lectrice anonyme, reviens, fouille, commente mon blog ! Je ne regarde pas ton IP, je ne veux pas surveiller tes allées et venues, mater tes goûts, les articles que tu as été lire, ceux que tu évites. Tu travailles à Libération, à Télépoche, chez Samsung, HP, Conforama ou EDF, tu étudies à l'université de Toulouse ou à l'ENA, je n'en ai cure, tu es libre ! Je t'aime comme ça, silencieuse, tu es libre de lire et de ne pas livrer ton opinion, tu as le droit d'être égoïste. En ce moment tu te dis même : « Nino se relâche vraiment, cet article est un peu le miroir d'un autre que j'ai lu il y a quelque temps, il y a du laisser-aller ». Ce n'est pas faux, lectrice anonyme, tu as raison. Et à défaut de salaire, si tu veux me laisser un petit pourboire, les comm' sont ouverts.